Brin du jour

La salle au tableau-fenêtre

Salle d’attente d’un centre de procréation médicalement assistée.

Au mur, il y a un grand cadre noir, fin, lui-même enceint d’un large cadre plus décoré et doré, ils encadrent ce qui laisserait penser au premier regard à un miroir, puis à un tableau, mais c’est une fenêtre sur cour. J’aime beaucoup cette idée d’encadrer une fenêtre et ce qu’elle offre de perspective aux regards.

Il y a du monde. Un monde parallèle. Un monde d’hommes et de femmes de tous âges, milieux, styles, histoires… tous ici pour parvenir un jour à donner la vie.

Les regards ne se croisent pas, comme si l’on craignait de se voir.

Il me semble que nous formons un ballet déjà bien répété, les mouvements sont réguliers et assurés dans une chorégraphie toute tracée. D’abord le laboratoire d’analyses, qui viendra notamment dire dans les heures qui suivent ce que fomentent nos hormones aujourd’hui. Puis Accueil où il faudra  ré-énoncer à chaque passage son identité et sa date de naissance – Nous, on a réussit à naître, c’est quand même pas sorcier, si?!!- Puis, attente dans la salle au tableau-fenêtre jusqu’à être appelés pour l’échographie. Dans une petite pièce toute noire où l’on voit son intériorité à la télé. Preuve par l’image. Bonjour ovaire droit, bonjour ovaire gauche. Bonjour le/les follicule(s). Ah, bonjour le(s) kyste(s), on n’avait pas encore été présentés! Bonjour l’endomètre trop fin, trop épais ou magnifique, c’est selon. Y’en a du monde là-dedans. Heure de vérité: Réagit-t-on au traitement? Comment? Est-ce le moment? Combien? Quelles tailles? Quel côté? Normal? Faut-il tout stopper? Ou passagères contrariétés? Attendre, revenir, remesurer, espérer. Nouveau passage par la salle au tableau-fenêtre jusqu’à être appelés par le médecin pour interpréter les données et orchestrer la suite à donner. Souvent, il y aura un coup de téléphone du centre dans la journée, après recueil de toutes les analyses, pour préciser, et qui peut tout changer. Rester joignable.

Avant de partir, il faudra passer à l’accueil et prendre rdv, souvent pour dans pas longtemps, où nous reprendrons la danse, dans la salle au tableau-fenêtre, avec l’espoir d’un feu vert, celui qui dira(it) que c’est bon, qu’on peut faire la piqure à 22 ou 23 heures, celle qui déclenche artificiellement une ovulation minutée 36 heures exactement plus tard, moment où l’on devra(it) alors se trouver à la clinique, madame sous petite anesthésie générale et monsieur courant précautionneusement dans les couloirs avec une mallette contenant ses têtards.

Et si tout ce petit monde se porte bien, direction l’éprouvette où fleurira peut-être un futur bébé, qu’il faudra(it) alors venir loger dans le corps de madame qui n’aura plus qu’à couver jusqu’au verdict.

Bon, ça, c’est quand chaque étape a marché et qu’une Fécondation In Vitro a pu entièrement être menée, mais en réalité, parvenir jusque là, avec ou sans bébé in fine, n’est jamais gagné.

L’attente… bien au-delà de la salle au tableau-fenêtre, lequel offre au regard une perspective d’ailleurs, l’espoir.

 

8 Comment

  1. Tu dépeins tout de façon merveilleusement juste. Ton récit est fort et poétique à la fois. On attend, on est malmenés avec toi entre pièce noire et tableau-fenêtre, perspective Lumière ☀️🌈
    Je t’embrasse

  2. Fenêtre sur cour, court-métrage, image et échographie. Tout est dans le « non »-texte, comme l’on dit que, au théâtre, tout est dans les silences.
    Alors la force du texte, c’est cette écriture à la fois très présente et à distance qui permet d’entendre ce silence (et pourtant ce cri).
    L’élégance d’un sourire et pourtant la transparence de la vie, la vraie, le réel tel qu’en lui-même, brutal.
    On ne sait si on peut aimer le texte et à la fois rager de ce qu’il raconte. Ou espérer.
    Peut-être oui, cela en fait: aimer le texte et espérer.
    De tout cœur avec vous

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