« S’installer dans le réduit d’une hutte sibérienne, c’est gagner la bataille contre l’ensevelissement sous le tombereau des objets. La vie dans les bois conduit à se dégraisser. On s’allège de ce qui encombre, on déleste l’aérostat de son existence. Voilà deux mille années, les nomades des steppes indo-sarmates savaient contenir leur avoir dans un petit coffre de bois. Il existe un rapport proportionnel entre la rareté des choses que l’on possède et l’attachement qu’on leur porte. (..) Un objet qui nous a accompagnés dans les péripéties de la vie se charge de substance et émet un rayonnement particulier. le temps le patine. Les années le cuirassent. Il faudra côtoyer longtemps son misérable patrimoine d’objets pour apprendre à aimer chacun d’eux. Bientôt le regard aimant posé sur le couteau, la théière et la lampe se transmet aux substances et aux éléments: le bois de la cuillère, la cire des bougies, la flamme. La nature des objets se révèle, il me semble percevoir les mystères de leur essence. je t’aime, bouteille, je t’aime, petit canif, et toi crayon de bois, et toi ma tasse, et toi théière qui fume comme un bateau blessé… »
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie.