Brin du jour

Pédaler sur un géant

Depuis notre petit hôtel naturel

Le Camping de l’Aube

nous faisions face au Géant de Provence

à la calvitie rassurante.

Notre hôte assura qu’il s’agissait de la plus belle des vues

sur ce sommet singulier à la tête dans les nuages.

Près de notre van ouvert au calme

l’ombre d’ une pergola de nature

et des fourmis affairées au sol.

Nos voisins, des ânes chantant l’aube

et quelques humains chuchotant.

Non loin, le cabanon des besoins

aux carreaux anciens

bleus, verts, peut-être gris aussi.

Ses murs peints de rouge par endroits

et la végétation entrant ça et là par le toit .

Les piles anciennes sous la vigne

dans lesquelles coule une eau étonnamment fraîche.

L’idée de ce week-end à la destination gardée secrète jusqu’à l’arrivée

était que Monsieur approche le Géant sacré

des cyclistes entraînés à gravir son fort dénivelé

jusqu’aux 1912 mètres de son sommet.

Nous étions au pied du Mont Ventoux.

Ici, les voitures semblent avoir disparu des routes et le bruit du monde.

Seuls des vélos et du silence,

des vignes, des cerisaies, des oliviers

des champs et des vergers

des villages de pierres blanches et de volets bleus

des fontaines d’eau potable et des forêts

à pertes de vue.

J’avais bien fait d’emmener mon vélo

je pourrais balader tranquille avec lui dans ce paradis.

A peine arrivés, j’ai dis à notre hôte que Monsieur aimait faire du vélo et sollicité des conseils d’itinéraires pour qu’il aille approcher le Géant.

Sourire aux yeux, celui-ci ne tarda pas à partir chercher une carte, puis deux, demanda plusieurs fois si monsieur était entraîné pour monter, monsieur grommela que non ou si peu, notre hôte l’observa, sourit à nouveau et en un instant nous nous retrouvions avec une rando vélo de 50 kms pour se mettre en jambes le samedi et une ascension au sommet le dimanche pour monsieur

qui n’hésita pas, ou pas longtemps,

malgré le fait qu’il n’avait jamais gravi de col à vélo.

Il avait, je crois, l’envie et pouvait compter sur de bonnes jambes, un bon souffle et son bon cœur.

Moi j’ai dis que je ferais la première sortie du samedi, si j’y arrivais et que j’accompagnerais les premiers kms du dimanche, jusqu’à une terrasse de café!

car je ne suis pas du tout entraînée à cet effort et mon corps dit toujours non aux montées en vélo, aussi petites soient-elles, alors un tel dénivelé je ne pouvais même pas y penser.

Mais voilà que samedi soir monsieur me dit et répète que je peux le faire et moi je m’en convaincs,

en un rien de temps,

je regarde le Géant au loin et l’envie vient,

j’y vais.

J’ai besoin d’un challenge je crois,

besoin d’atteindre un objectif,

besoin d’y arriver.

Je pouvais compter sur ma petite assistance électrique,

elle m’aiderait grandement.

Mais bon, un mini vélo pliable, citadin, à petites roues et gros pneus, avec son guidon tige et un panier de courses fixé à l’avant -que je remplirais évidemment beaucoup trop le lendemain- n’était pas la monture du genre, ni du coin!

Le challenge était amusant.

Dés nos premiers kms dimanche matin, les cyclistes que l’on croisait comme ceux qui nous doublaient nous regardaient intrigués et certains amusés,

monsieur devant en tenue de cycliste randonneur n’arborait pas le look de nos voisins fonceurs

et moi suivant sur mon mini, nez au vent, panier débordant,

fière de courir les premiers kms sans assistance malgré le faux plat durant.

J’ai pris confiance en moi, je montais.

Et quand la montée devint sérieuse, nous étions en forêt, l’air était frais, j’étais gaie.

J’ai maintenu l’assistance à son plus petit niveau et pédalé, pédalé, pédalé

Plus je montais et plus j’y croyais

mais la batterie, elle, baissait

rapidement,

elle était pourtant conçue pour davantage de kms

mais je n’avais pas pensé à la grande dépense que solliciterait la montée.

Arrivée à 7 kms du sommet elle s’est arrêtée.

Je me suis mise sur le bas côté, je n’étais pas prête à renoncer, je voulais continuer, j’allais essayer de pédaler sans elle,

mais le temps que je réfléchisse à cela le panier trop lourd fit tourner le guidon qui entraina le vélo qui me tomba dessus m’entrainant au sol, les deux genoux heurtant des pierres, plaies superficielles et petites bosses, ne pas y penser, repartir, suivre le flow des vélos.

Mais je n’ai pas pu pédaler, mon vélo était beaucoup trop lourd et la montée trop intense.

Alors je l’ai poussé en marchant à côté

approchant le sommet à chaque lacet

les vélos me doublaient,

certains m’encourageaient,

monsieur ne devait pas être loin de l’arrivée, je voulais l’y retrouver, le féliciter et avec lui contempler…

La pédale venait régulièrement heurter mon mollet

j’alternais le côté du vélo où je me trouvais pour soulager mes bras qui poussaient

et l’autre pédale s’y mettait.

Genoux rouges et mollets bleus

ajoutaient à mon allure que je ne savais qualifier.

La tête du Géant apparaissait dans sa blancheur lunaire,

le soleil tapait et les nuages l’encerclaient,

je commençais moi aussi à avoir la tête dans les nuages,

j’y étais presque.

Mais à 2,24 kms de l’arrivée je pris la décision de m’arrêter

je ne pouvais plus avancer,

le cœur cognait, les muscles tremblaient

j’avais atteint mon sommet.

Lâcher là, si près…

je le regrettais

mais

la vue était sublime,

il faisait frais

et soudain juste au dessus de moi j’entendis un aigle et le vit tournoyer,

puis j’en vis d’autres dansant au gré des courants,

mes larmes coulaient.

Monsieur a gravi le sommet.

Puis m’a rejointe sur le bord de la route où je pique-niquais le cœur contrarié.

De là-haut, il nous avait ramené des petits gâteaux et une boisson sucrée

A cet instant nos corps réclamaient beaucoup de carburant

nous obtempérions.

Un tandem est passé

avec à son bord un homme à l’avant et un enfant à l’arrière

Ils y étaient presque

et la solidarité de leurs pédaliers m’a touchée.

Il faisait froid sur nos corps chauds,

il était temps de descendre,

j’avais de l’appréhension,

la pente n’était pas douce nous le savions.

Nous avons dévalé le Géant à vive allure,

c’était impressionnant,

presque trop rapide pour apprécier ce que nous venions d’effectuer.

Face à nous, soudain, des moutons

paissant sur le Géant

et traversant tranquillement la route

semblant bien loin de nos préoccupations d’ascension .

2 Comment

  1. Je suis jaloux..je n ai pas atteint mon sommet depuis si longtemps ! Et j ai l impression de te suivre dans cette belle descente au ralenti.
    Mais si heureux de partager avec toi le secret tellurique du géant qui parle aux nuages.

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