Une femme s’interroge sur cette ponctuation du sentiment.
Elle raconte qu’un jour un homme lui a écrit:
-« Tu me manques, un peu.. »
Énoncé qui, à ses oreilles, disait tant. Elle se souvient avoir été troublée par ce qu’elle considéra alors comme une pudeur, une retenue nécessaire, une sublimation peut-être. Elle dit avoir d’emblée aimé ces deux petits mots, plus encore que le début de la phrase, aimé qu’ils ne disent pas tout.
Respiration.
Elle ajoute que, quelques années plus tard, un homme lui écrira:
-« C’est que je t’apprécie un peu.. »
C’est alors, dit-elle, qu’elle percevra nouvellement l’importance des deux points de suspension dans cette formulation du sentiment.
Elle imaginera qu’ils contiennent le sentiment, plus que les explicites sujet verbe et complément, plus que le pudique « un peu », qu’ils révèlent à l’infini.
Cette femme me donna à penser à ces trésors qui se logent dans ce que nous ne disons pas, ce qui ne peut pas se dire, ou pas tout à fait se dire et même jamais tout à fait se dire.
Comme autant de points de butée du langage sur le réel qu’il peine à recouvrir.
Des points de suspension comme une tentative de jeter un pont en pointillés entre deux rives, quoiqu’il en soit.